Histoire de Retord
Histoire de Retord
La lecture de ces deux cartes ci-dessus montre bien le niveau d'engagement des maquisards dans les différents reliefs de l'Ain et du Jura. Elles mettent en relief le périmètre important sur lequel s'effectuait toutes les actions et la forte implication des territoires de montagne dans la résistance active contre l'occupant.
Cette guérilla a mobilisé des "combattants de l'ombre" dans toutes les zones de montagne, ceci dans des conditions extrêmes et avec des moyens rudimentaires. Nous voulons ainsi témoigner de ces faits, de cette page sombre de notre histoire, les nombreuses traces physiques et morales montrent leur caractère extrêmement prégnant sur l'ensemble du "plateau" comme à l'ensemble du Haut-Bugey et du Jura.
Cette histoire commence avec l'instauration du STO, se poursuit avec la mise en place d'une organisation des différents camps, puis les actions s'enchaînent, l'occupant et ses "collaborateurs" sont de plus en plus nerveux et tentent d'éradiquer toute résistance des maquis.
Les premiers camps sur le Retord !
L'Armée des forêts: de l'organisation aux actions...
Défilé d'Oyonnax: le plateau très mobilisé !
Les premiers Camps sur le Retord !
Les maquis de l’Ain ont pris naissance à partir de la loi du 7 mai 1942 sur le STO (Service de Travail Obligatoire). Au départ, basé sur le volontariat (17.000 volontaires seulement à fin août) c’est en septembre que le STO devient obligatoire pour tous (hommes de 18 à 50 ans et femmes célibataires âgées de 21 à 35 ans).
En décembre 1942, l’objectif de 250.000 personnes est atteint pour arriver à 600.000 en août 1943.
A l’automne 42, la BBC diffusa le mot d’ordre :
« Ne partez pas, prenez contact avec les organisations de Résistance qui s’occuperont de vous ».
C’est à cette période que les réfractaires au STO « sont logés » dans des fermes isolées nombreuses sur le plateau de Retord.
Début mars 1943, le bruit circule sur Bellegarde qu’un maquis va se former sur « le Plateau » à la CROIX-JEAN-JACQUES.
De nombreux camps spontanés et indépendants se constituèrent pour quelques semaines ou quelques mois pendant le printemps de 1943 : camp de la LIEZ, de la CHARNAY, de PRE DEVANT, du RETORD, camps très mobiles, se déplaçant souvent.
Les résistants de l’AS Bellegarde mettent également en place des camps qu’elle contrôle : les LADES (près du Rhône entre BELLEGARDE et SEYSSEL), les FRASSES, le GROS TURC.
Le camp de la LIEZ n’était qu’une hutte dans la forêt, celui des FRASSES (à proximité de CUVERY) une ferme qui fut incendiée, quant au GROS TURC ce n’était qu'une baraque de chantier recouverte de tôles récupérées sur la porcherie du TUMET.
Hotonnes.jpg | |
---|---|
PRAY GUY.jpg |
L'Armée des forêts:
de l’organisation aux actions...
Le Général DELESTRAINT reçut du Général de GAULLE en février 1943 à Bourg en Bresse l’ordre de mettre la Résistance sur pied et de créer l’AS (Armée secrète).
Le Colonel ROMANS (Henri Romans-Petit) fut nommé Chef des Maquis de l’Ain à l’été 1943.
C'est le 14 juillet à la ferme des Terments, que le Colonel ROMANS prend officiellement le commandement de la région R1... sous le code CRISTAL.
Sous son impulsion, le maquis se structura militairement, les effectifs du GROS TURC rejoignirent ceux de MOREZ sur HOTONNES. Il fallait également organiser l’acheminement du matériel, trouver d’autres fermes susceptibles de recevoir un camp. Le monde rural s’y prêta de bonne volonté.
Sur le plateau de Retord, en dehors des camps temporaires et itinérants, on peut distinguer deux principales localisations de camps:
Vers HOTONNES, avec les fermes de MOREZ, des COMBETTES, de DESCHAPOUX qui a été un temps le QG du Capitaine Romans, du PRE CARRE, du SECHE et des BERGONNES sous l'autorité de MARCO (Pierre MARCAULT).
A proximité de BRENOD avec les fermes de PRAY GUY, du FORT et du MOLARD et le hameau de MACONNOD. Signalons que la grange du FORT a joué une rôle essentiel et stratégique puisqu'elle a abrité pendant quelques temps d'une part le PC départemental mais également la mission interalliée.
Remarquons que l'emplacement était particulièrement judicieux au regard des possibilités tant d'évacuations rapides que de liaisons directes et discrêtes au travers des forêts avec:
NANTUA au nord via MALLEBRONDE et les MONTS D'AIN,
Les NEYROLLES via COLLIARD,
Le POIZAT à l'est via la Combe de Léchaud
CHAMOISE ou CHEVILLARD à l'ouest
La vie quodidienne au maquis n'est pas toujours aisée (lire ici).
A cette même période (10 août), les GMR (Groupements Mobiles de Réserve) contrôlent et cernent les accès à cette région pendant plusieurs jours. Ils ont commencé à pourchasser les réfractaires au STO. La première arrestation allemande a eu lieu dans la Combe de la Manche (Antoine RUGGIERI et Pierre BLANC) elle a même donné lieu à une évasion réussie du premier qui a pu s’échapper au premier tournant en « épingle à cheveux » au lieu-dit LE DHIER, juste en dessous de la CROIX-JEAN-JACQUES.
Le 15 août, deux soldats soviétiques évadés sont interceptés et intégrés au camp de MOREZ, suite à la réaction négative des polonais, ces derniers sont transférés la nuit même aux COMBETTES. Neuf soviétiques viennent de Bourg rejoindre le camp, ce qui portera leur nombre à onze à MOREZ.
C'est à cette période que se succèdent les coups de mains audacieux à ARTEMARE avec un raid sur le dépôt des Chantiers de Jeunesses (10 septembre 1943) et à l'Intendance à BOURG (28 septembre 1943). Ils vont ainsi assurer équipement et nourriture, notamment permettre d'uniformiser les maquisards participant au défilé d'OYONNAX. Différentes actions de sabotage ont également lieu avec notamment la bienveillance complice de la brigade de Gendarmerie de BRENOD.
Dans son livre "Der Gefesselte Hahn" (Le Coq Enchainé) paru en 1959, Heinz A. Eckert (alias Capitaine Evans, agent de l'Abwehr (service de renseignements de l'état-major allemand) dans la région en 1943 et 1944) appelle les Maquis de l'Ain:
" L'armée des forêts "
Défilé d'Oyonnax: le plateau très mobilisé !
Les maquis du plateau ont activement et largement participé au défilé du 11 novembre 1943 à Oyonnax.
Pierre MARCAULT (responsable CRISTAL III) basé au camp de MOREZ (Hotonnes) nous apporte des détails sur le départ du 11 novembre au matin:
"Dans l'aube froide et cotonneuse, la colonne des maquisards, pataugeant dans la neige, s'ébranle enfin. Un peu plus bas, on s'entasse dans les camions soigneusement bâchés. Direction enfin révélée : Oyonnax !
"Les routes de montagne sont périlleuses. A tout moment, l'ennemi peut intercepter le convoi. Passons sur les difficultés imprévues rencontrées sur le trajet, sur les retards, les craintes d'être confrontés à une panne de moteur (ou de carburant)...
"Quant à l'itinéraire, soigneusement étudié, il sera ainsi fixé : le convoi s'ébranlera du Grand Abergement. On filera par Le Poizat, Lalleyriat. On traversera la RN 84 à Moulin de Charix. On grimpera aux abords du lac Genin, avant de déboucher sur Oyonnax par la forêt d'Échallon."
Marcel LUGAND (Clairon du défilé - Camp Verduraz):
« Pour ce défilé, il y a eu deux sections du camp de MOREZ, une du camp de Corlier qui stationnait notamment à la ferme de Bassan »…
Le jour J, ayant rejoint la section de Pierre Marcault, je suis parti avec eux en camion depuis Brénod. D’autres sont partis de Vieu-d’Izenave. Nous avons traversé tout le Retord. Nous avions tous rendez-vous au col du Berentin, c’était le point de ralliement de tous les camions.
Il y avait trois ou quatre camions, des P32 ou P35 de chez Citroën, des véhicules d’armée d’Armistice qui étaient stockés au garage Miguet à Hauteville (ndlr voire à MACONNOD ?). Nous étions entassés. On ne savait pas où on nous emmenait. On savait que nous allions sans doute défiler dans une ville du département, mais laquelle ? Le flou était largement entretenu. Nous avons compris que nous allions sur Oyonnax lorsque nous avons atteint Le Poizat… Nous étions plus d’une centaine… trois sections et tout l’État-major. »
Quel formidable culot poussa ces quelques cent cinquante maquisards de France et leurs chefs, venus en camions de leurs repaires montagnardsdu Bugey, à défiler au grand jour (et pas n'importe lequel !) à la barbe des nazis, dans une ville de la France occupée...
Eurent-ils sur-le-champ pleinement conscience,en ce jour interdit parce qu'il
commémorait la victoire des poilus de 14-18 sur les Allemands,qu'ils venaient,
ces maquisards de chez nous,de signer un "coup" dépassant de loin la symbolique pure, un "coup" qui interpella si fort
CHURCHILL et ROOSEVELT qu'il allait débloquer le largage tant attendu des parachutes porteurs de containers chargés d'armes et de vivres ?
Pour en savoir plus:
http://museedelaresistanceenligne.org
http://www.resistance-ain-jura.com/
Ripostes, répression... LIBERATION !
En l'espace de 6 mois, ce "petit plateau qui résiste toujours à l'envahisseur" va être le théatre de trois opérations majeures militaires sur le territoire:
« Korporal » (5 – 13 fevrier 1944)
« Frühling » (7-18 avril 1944)
« Treffenfeld » (10-19 juillet 1944)
La guérilla active menée par
les Maquis de l'Ain ainsi que
la situation géographique, sur
la ligne de division zone libre
zone occupée et la proximité avec
la frontière suisse ont bien
évidemment motivé ces actions de
grande ampleur.
L'opération « Korporal » (Caporal en français) est la première de ces opérations militaires dirigées contre les maquis de l’Ain. Elle a été décidée lors d’une réunion à Lyon à laquelle participe Klaus BARBIE. Le Groupement sud des maquis de l'Ain en est la cible. L’état de siège est signifié le 5 février 1944 à 6h30 au Préfet de l’Ain par le major Kreiss von KRESSENSTEIN.
Mais revenons juste avant cette opération, le 1 février, il y a eu à RUFFIEU un premier "accrochage" ou 7 maquisards ont été tués, des civils déportés et des maisons brulées. Le 4 février, jour des funérailles des maquisards, un groupe chargé de la sécurité d'HOTONNES arrête un des chefs local de la Gestapo (HOUIZOGT ou HOUIZOT ?). Il est emmené au camp de PRE CARRE et découvrent ainsi la vaste opération qui se prépare. La Luftwaffe mitraille la zone et le libère. La ferme de PRE CARRE est incendiée.
La milice française, les SS et d’autres forces militaires de l’occupant se coordonnent, soit plus de 2 500 hommes. La Sipo-SD, police de sûreté allemande regroupant deux organes, la Gestapo (police politique) et la Kripo (police criminelle), est responsable des mesures policières contre les civils, incendies, rafles et déportations.
On voit bien la tactique qui sera mise en oeuvre à l'aide du croquis ci-dessous. En effet, dès l'aube du 5 février des camions déversent des troupes, les villes du Bugey sont en état de siège. Sur les routes, auto-mitrailleuses, motos, camions, troupes alpines en blanc (Gebirgsjäger de la 157e Division de Réserve), uniformes verts (Sicherungsbataillone) patrouillent. L'aviation allemande (Luftwaffe) basée à Ambérieu-en-Bugey apporte son appui aux troupes au sol.
En raison de fortes concentrations de troupes et pour échapper à cette prévisible stratégie d'encerclement, le PC départemental et la mission interalliée basés à la ferme du FORT déménage le 3 février à la ferme du MOLARD, et, dès le 6 février, suite à une attaque allemande se replie plus à l'ouest sur le LANTENAY, MACHURIEUX et la ferme de LA MONTAGNE (voir carte ici) dans l'optique de rejoindre les Dombes et d'y installer le PC du Capitaine ROMANS PETIT. Les fermes du FORT, de PRA GUY, du MOLARD ainsi qu'au PRE DE JOUX seront incendiées.
Ce même jour, BRENOD subit une rafle importante, incendies, civils déportés, le lendemain à CORLIER des civils sont fusillés et le 8 février, à la ferme de la MONTAGNE, 22 hommes du PC résistent à 250 Allemands...
Une partie des troupes allemandes engagée dans cette opération était basée sur BELLEGARDE, chargée de ratisser les pentes de la MICHAILLE et du RETORD (le nord du plateau au-dessus du Rhône) et ne trouvant plus de maquisards, incendia deux fermes au dessus de VOUVRAY: celles des COTES et de CHAUDAVIE.
Dans la montagne, la consigne est claire, les camps combattent pour se dégager puis éclatent et se déplacent. Il faut survivre pour être opérationnel au moment du débarquement! Traqués dans la neige par une troupe dix fois plus nombreuse et parfaitemant équipée, les maquisards connaîtront le froid, la faim et l'épuisement. L'attaque allemande se termine le 14 février.
Le Capitaine ROMANS-PETIT tout en déplorant un lourd bilan tant pour la population civile que pour les maquis (23 tués, 400 personnes arrêtées, 60 fermes brulées) concluait que: "Cette épreuve du feu, du froid et de la faim consolide notre position"
En effet, malgré les très gros dommages, les camps se sont regroupé et se sont réorganisé très vite, l'équipement s'est amélioré, les effectifs ont augmenté et les réseaux se sont renforcé.
Les troupes du Reich ont échoué.
L'opération « Frühling » (Printemps en français) démarre debut avril. La tactique est sensiblement identique à la précedente opération (schéma à droite ci-dessus, la "cible" est divisée en deux secteurs, encerclement du premier secteur avec l'appui de "Jagdkommandos" (commandos de chasse) qui opèrent à l'intérieur du secteur. Puis, regroupement des forces et même procédure pour le deuxième secteur.
Les troupes engagées devaient être sensiblement du double de l'opération précédente. 12.000 hommes engagés selon ROMANS-PETIT. Pendant 11 jours les combats sont terribles, villages détruits, arrestations, déportation...
Malgré les pertes subies, les maquis mieux organisés appliquent strictement la stratégie de la guérilla voulue par ROMANS et sortirons plus forts de cette épreuve.
L'opération « Treffenfeld » (Champ de la rencontre (sic) en français) qui démarre le 10 juillet participe d'une tout autre tactique militaire que les deux précédentes. Trois groupes de combat (voir schéma ci-dessous) lancent leurs attaques concentriques (la rencontre annoncée ?) contre le coeur du Maquis (NANTUA - OYONNAX - DORTAN) avec un "nettoyage scrupuleux" du centre.
Alors qu'est déclarée la République rétablie à la Sous-préfecture de Nantua, des informations concordantes signalent de fortes concentrations de troupes (prélevées en SAVOIE et en ISERE) ainsi que des centaines de cars réquisitionnés. Les aérodromes de PORT et d'OYONNAX sont bombardés et le PC installé au château de Voërle vers IZERNORE est brulé.
D'énormes moyens sont mis en oeuvre par la Wehrmacht, le Sicherungsbataillone, le régiment de police « Todt », la 157e division de réserve Gebirgsjäger, les fameux Osttruppen et bien sûr... la Milice.
Le débarquement en Provence du 15 aoùt signera, pour les troupes allemandes engagées dans notre région, le signal de la fin. La retraite allemande commence, le reflux ne s'effectue pas sans difficultés, dans le Haut-Jura, le long de la frontière suisse, notamment à MOREZ et au FORT DES ROUSSES.
Pour toute la région, c'est la...
Ces pages ont pu être réalisées grâce au concours du
Musée départemental d'Histoire de la Résistance et de la Déportation
3, Montée de l'Abbaye 01130 NANTUA - 04.74.75.07.50
Retour pour l'histoire de Retord
Retour pour l'histoire des Maquis